Non, perdre du poids n’est pas toujours « nice »
J’ai perdu plus de soixante livres (27kg) en moins de six mois. Ça me stressait, m’inquiétait, je fondais tellement vite que plus aucun de mes vêtements ne me faisait. Je flottais dans mes soutiens-gorge et mes pantalons refusaient de tenir en place. Je suis passée d’une taille de bonnet 42D à 36D, de 18 en pantalon à 8 et de large en chandail à small. Pourtant, tout le monde à qui j’en parle me dit «C’est nice le poids que t'as perdu !», «tu dois tellement être contente d’être redevenue mince», « ça te fait bien d’avoir perdu tout ce poids ». Déjà, gros redflag grossophobe, parce que ça changeait quoi à la vie des autres que je pesais 230lbs (104kg) ? J’étais la même personne, juste plus ronde. Je ne suis pas quelqu’un d’autre parce que soixante livres se sont envolés.
À Noël, ça m’a pris une heure enlever mon manteau, car j’avais peur qu’on me fasse un commentaire sur ma perte de poids… Je n’avais pas envie de leur expliquer pourquoi. Car leur expliquer pourquoi nécessiterait que je m'ouvre sur ma santé mentale et la santé mentale est une boîte de pandore qui vaut mieux ne pas ouvrir, surtout pas en plein repas de famille. Sans compter les jugements qui auraient pu apparaître tel que «tu es sûre que tu n'as pas un trouble alimentaire?». Oui, matante, j'en suis sûre.
Mais c’est le fait qu’on me dise que c’est « nice » qui m’a le plus enragé. Car il n’y a rien de «nice» à perdre autant de poids aussi rapidement quand tu sais que ça ne s’est pas fait de la bonne manière. Je n’ai pas fait de sport, je n’ai pas changé mon alimentation. En fait, c’est faux : je ne mangeais presque plus à cause de l’anxiété.
Parce qu’il est là le bobo. Il est là l’élément de cette perte de poids intense. L’anxiété. J’étais si anxieuse que j’étais incapable de manger sans vomir mon repas. Je n’arrivais pas à avoir faim et souvent, les crises de panique me grugeaient tellement d’énergie, que je n’en avais plus pour me préparer un repas. Il m’arrivait donc de passer trois, même quatre jours sans rien avaler d’autre que de l’eau. Ainsi, j’ai fondu, j’ai maigri et non je ne suis pas contente. Non ce n’est pas «nice». Non, ça ne me fait pas du bien. Pourquoi ? Car je rentre dans un cercle vicieux où je sais que ma perte de poids est causée par mon anxiété et mon anxiété cause ma perte de poids. Eh merde…
Le pire dans tout ça, c’est quand j’en ai parlé au médecin, il m’a dit d’en profiter. Profiter de quoi ? De devoir refaire ma garde-robe au complet ? De rentrer à nouveau dans ma robe de bal dix ans plus tard ? D’avoir retrouvé le poids que j’avais à 16 ans ? Je profite de quoi en fait ? Je ne me trouve pas plus jolie, ma santé mentale ne s’est pas améliorée, j’ai simplement une taille plus fine et des seins plus petits.
Je trouve désolant qu’on associe la perte de poids à réussite et le succès. Qu’un professionnel de la santé n’ait pas levé le drapeau rouge en disant que ce n’est pas normal de perdre autant de poids quand la seule chose que tu fais, c'est de tourner en rond dans ton appartement, lire et être sur l’ordinateur. Que les gens te complimentent soudainement, comme si le fait d’avoir été plus ronde n’était pas sain, n’était pas correct. Comme si j’étais une personne complètement différente. J’aurais aimé perdre ce poids de façon naturelle, en faisant de l’exercice, en mangeant mieux, en améliorant ma santé mentale, mais ce n’est pas le cas. Au contraire, je suis terrifiée chaque fois que je monte sur la balance. J’ai peur d’avoir encore maigri, même si j’essaie de manger quand ça va bien dans ma tête.
Je crois que lorsqu’il est question du poids de quelqu’un, il vaut mieux ne rien dire, sauf si la personne parle de son cheminement avec positivisme. Dans mon cas, c’est de la peur, de l’anxiété et du désespoir qui me viennent en tête chaque fois que je parle de ma perte de poids.
J’aimerais en profiter, comme le voudrait mon médecin, mais la seule chose qui me vient en tête, c'est : quand est-ce que ça va arrêter ?
Jessica Di Salvio
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