Le narcissisme hypervigilant
Assise à une formation sur la santé mentale, la formatrice parle du trouble de la personnalité narcissique. Derrière mon café, je fais ma désintéressée, mais mes oreilles prennent de l’expansion: je veux tout savoir. Ce qu’elle en pense, ce qu’elle va en dire. Car je sais… oui je sais, ce trouble a mauvaise presse… souvent associé aux pervers narcissiques, aux gens extrêmement imbus d’eux-mêmes qui écrasent les autres sans pitié ou même aux psychopathes. Les narcissiques seraient constitués de gens dont il faut s’éloigner à tout prix pour ne pas tomber entre leurs griffes de manipulateurs. Alors, en formation, peut-être que j’apprendrais le contraire. Peut-être que l’expression souffrir d’un trouble pourra enfin prendre tout son sens et égaler vivre une condition pénible, intenable.
Ça commence mal : la formatrice mentionne que les gens narcissiques forment sa bête noire en intervention, surtout les narcissiques-hypervigilants qui n’arrêtent pas de se victimiser, voilant leur narcissisme immense par peur du regard d’autrui. Je me suis vraiment consacrée à mon café.
Plusieurs autres troubles de personnalité sont décrits comme étant souffrants pour la personne qui le vit. Le trouble narcissique semble faire exception, car les gens ayant ce diagnostic n’auraient pas l’autocritique nécessaire pour avouer leurs difficultés. Elles seraient dans le déni et ce seraient les autres qui subiraient l’entièreté des dommages.
Même si j’ai de la difficulté à avaler mon diagnostic, même si celui-ci me répugne, me rend honteuse, me dégoute, même si je m’objecte parfois et souvent parce que je ne m’identifie pas à ce que la société décrit comme étant narcissique, au fond de moi, je sais que j’en j’éprouve une réelle douleur et qu’une des raisons pour laquelle je me sens si malheureuse, c’est mon estime complètement piétinée.
Cela est au cœur du narcissisme : l’estime.
J’aimerais tant me lever dans la salle de formation et témoigner de ce que c’est dans la réalité, dans ma réalité, avoir un tel diagnostic. Je dirais oui, j’ai peut-être des attentes démesurées quant à ma réussite ou même quant à la performance des autres. Oui mon estime varie selon les contextes : un jour, je me sens particulièrement compétente et l’autre je peux me remettre constamment en question. Oui ce que je perçois comme des potentielles critiques viennent souvent me perturber au point que je me sente réellement menacée, que je peux être sur la défensive, voire agressive, et cela fait varier mes humeurs. Oui, je recherche un certain regard ultra positif sur moi-même, car quand l’estime est au plus bas, on s’accroche nécessairement à cette recherche externe de valorisation. Oui j’évite beaucoup de situations à cause de ce que les autres pourraient penser de moi, surtout lors de situations nouvelles qui risquent de me mettre sous un mauvais jour, de me faire critiquer et me sentir particulièrement mal et honteuse. Oui, l’envie ne m’est pas étrangère. Oui, je peux me montrer égocentrique : prisonnière du regard d’autrui, de mes sentiments de honte perpétuelle, la place pour l’autre s’avère parfois difficile. Oui je suis ultra perfectionniste, car mes attentes envers moi-même sont démesurées. Il n’en demeure pas moins que je souffre de tout cela. Si je me considère comme une mauvaise personne, ce n’est pas que j’en suis une, mais bien que mon estime de moi s’avère très basse. On peut être narcissique et se détester.
La formatrice a beau dépeindre un tableau ultra négatif du trouble, la réalité reste que vivre dans ces conditions vient de quelque part où la vie n’a pas été tendre et qu’en réponse aux agressions perçues et vécues, la personnalité s’est forgée comme mécanismes de défense.
Je ne suis pas flamboyante à écraser les autres, je suis quelqu’un qui souffre d’être constamment dans le regard d’autrui. Je ne cherche pas la sympathie aujourd’hui, je ne souhaite pas me victimiser, j’aimerais seulement dire la vérité. Le trouble narcissique n’égale pas mauvaise personne.
Chloé C.
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